Améliorer la gestion de l’azote dans la région de l’Atlantique
Réduire les pertes d’azote provenant du fumier
David Burton, Université Dalhousie, et Martin Chantigny, Agriculture et Agroalimentaire Canada
Le fumier est une ressource de toute première importance pour l’agriculture, car il procure des nutriments essentiels à la croissance des cultures et contribue à la santé du sol. Cependant, une gestion inefficace du fumier peut créer d’importants problèmes environnementaux, dont la volatilisation de l’azote (N) dans l’atmosphère sous forme d’oxyde nitreux (N20), un puissant gaz à effet de serre, et le lessivage du nitrate (N03-) dans les plans d’eau. Dans les conditions climatiques et pédologiques variées des provinces de l’Atlantique, l’amélioration de la productivité, de la durabilité et de l’intendance environnementale des exploitations agricoles passe par l’optimisation des pratiques de gestion du fumier.

Principales voies de perte d’azote associées à la gestion du fumier Volatilisation de l’ammoniac : Le purin est souvent alcalin (pH élevé) et contient de fortes concentrations d’ammoniac (NH3). Les risques de volatilisation du NH3 dans l’atmosphère sont donc élevés pendant la manipulation, le stockage et l’épandage dans les champs. Pour réduire ces pertes, il importe de limiter le plus possible l’exposition du fumier à l’atmosphère à toutes les étapes de sa gestion. S’il n’y a aucun moyen de l’injecter directement dans le sol, le fumier devrait être déposé près de la surface du sol et incorporé à la terre le plus tôt possible après l’application au champ.
Dénitrification : Par temps humide, les microorganismes peuvent convertir le N03– en N20 et en N2 (une imposante composante de l’air). La quantité de N20 produite par la dénitrification dépend de plusieurs facteurs, dont le degré d’accumulation de N03-, le degré d’aération de la pile de fumier et la présence de composés de carbone organique pour alimenter l’activité microbienne.
Lessivage du nitrate : L’application de quantités excessives de fumier peut entraîner l’accumulation de N03– dans le sol, ce qui, en période de fortes pluies, peut causer la percolation du nitrate jusqu’à la nappe souterraine ou son ruissellement jusqu’à des plans d’eau de surface.
Stratégies pour améliorer la gestion du fumier
Les producteurs peuvent adopter diverses pratiques pour réduire les pertes de N et en accroître la rétention dans le fumier pendant la manipulation dans la grange, l’application au champ et le stockage.
Gestion du fumier dans la grange :
- Il y a risque de perte de NH3 et d’odeurs associées à l’accumulation de fèces et d’urine sur le plancher de la grange. L’hydrolyse de l’urée présente dans l’urine crée des conditions alcalines et produit du NH3, qui se volatilise en grandes quantités dans l’atmosphère. L’enlèvement rapide du fumier accumulé sur le plancher de la grange, que ce soit par grattage, par lavage ou par installation d’un plancher à lattes, accélère son transfert au lieu de stockage, où les matières seront diluées et moins exposées à l’atmosphère.
- L’ajout de matériaux de litière riches en carbone dans la grange, par exemple de la paille ou des copeaux de bois, peut aussi réduire la perte de NH3 en immobilisant l’azote sous forme de N organique, qui présente un faible potentiel de volatilisation. L’ajout de carbone peut toutefois donner lieu à des taux accrus de dénitrification, ce qui entraîne de plus grandes pertes de N20.
Stockage et manipulation du fumier :
- La séparation des matières solides et de la fraction liquide du fumier réduit les émissions de méthane, mais elle pourrait occasionner une augmentation des émissions de N20 et de NH3, selon le mode de gestion de la fraction solide.
- L’acidification des stocks de fumier par l’acide sulfurique (H2SO4) limite l’activité des méthanogènes, les bactéries qui produisent le méthane, et réduit les émissions de NH3. L’acidification à faible dose (réduction du pH à 6,5) du fumier qui reste dans la fosse après le vidage contribue efficacement à réduire les émissions de CH4 et de NH3.
- Le recours à des revêtements synthétiques pour couvrir la fosse à fumier limite le contact avec l’atmosphère et réduit les émissions de NH3 et de CH4. Il a été prouvé que les revêtements synthétiques imperméables réduisaient les émissions de N20 et de CH4. Ceux qui sont faits de matériaux naturels (paille, copeaux de bois) peuvent aussi réduire les émissions de NH3, mais ils provoquent une augmentation des émissions de N20.
- Le compostage et l’aération passive peuvent réduire les émissions de CH4 et de N20 provenant du fumier solide et, selon le degré d’aération du compost, accroître les émissions de NH3.
Application du fumier dans les champs :
Il y a un risque de perte de NH3 pendant l’épandage du fumier au champ. En général, le meilleur moyen de réduire ces pertes consiste à limiter le plus possible l’exposition du fumier à l’atmosphère.
- Pour réduire l’exposition à l’atmosphère, les producteurs peuvent épandre le purin près de la surface du sol ou l’injecter directement dans le sol.
- Dans le cas du fumier solide, l’incorporation rapide (le jour même) du fumier dans le sol réduit les pertes de NH3.
L’épandage de fumier dans les champs peut produire du N20. L’ammonium (NH4+) contenu dans le fumier est converti en N03– après l’épandage par le processus de nitrification, qui crée des émissions de N20. L’accumulation de N03– dans le sol peut aussi donner lieu à des émissions de N20 par suite de la dénitrification, surtout lorsqu’il y a intensification de l’activité microbienne associée à l’ajout de substrats carbonés contenus dans le fumier. Il est possible de gérer ces émissions en retardant le processus de nitrification.
- Les producteurs peuvent ajouter des inhibiteurs de nitrification au fumier, surtout le purin, pour retarder la conversion du NH4+ en N03-. Cette inhibition s’échelonne sur plusieurs semaines et peut servir à mieux synchroniser la production de N03– avec la demande en azote des plantes. Voir la fiche d’information sur la gestion améliorée de l’azote.
- En suspendant l’épandage automnal du fumier jusqu’à ce que le sol soit refroidi à 5 oC, les producteurs peuvent ralentir le processus de nitrification et conserver l’azote dans le NH4+ pendant l’hiver, la période où les risques de perte de N03– sont les plus élevés en raison de la dénitrification ou du lessivage du N03-.
Utilisation efficace de l’azote contenu dans le fumier
Les producteurs ont tendance à sous-estimer la valeur de l’azote présent dans le fumier, parce qu’ils ne savent pas précisément quelle quantité de N sera disponible et à quel moment. Voici quelques règles générales pour vous aider à quantifier l’azote disponible dans votre fumier :
- La première étape consiste à obtenir une analyse de fumier. Certains tableaux permettent d’estimer la teneur en nutriments du fumier, mais ils ne sont pas aussi précis qu’une vraie analyse.
- Pour le purin, en particulier le lisier de porc, une bonne partie du N (de 50 à 80 %) se trouve sous forme de NH4+. Si cette forme d’azote est celle qui présente le risque le plus élevé de perte par volatilisation du NH3, elle est en revanche immédiatement disponible pour les végétaux. Vous devriez créditer cet azote comme s’il s’agissait d’engrais azoté.
- Pour le fumier solide, la situation est un peu plus complexe. En raison de l’ajout de litière riche en carbone, une bonne part de l’azote se présente sous forme de N organique. Cette forme d’azote est moins vulnérable à la perte, mais elle met plus de temps à devenir disponible pour les plantes.
- Le site Web de l’Association pour l’amélioration des sols et cultures du Nouveau-Brunswick propose des fiches d’information qui contiennent des recommandations générales sur l’azote pour diverses cultures ainsi que des outils pour vous aider à calculer les crédits de N associés à l’épandage du fumier.

Figure 1 : Voies de perte d’azote par épandage de fumier sur les champs (tiré de PEIDAL, 2024)

Figure 2 : University of Minnesota Extension, fiche d’information. Consulté en 2021. (Résultats fondés sur des échantillons prélevés au Minnesota de 2012 à 2018; livres de nutriments par tranche de 1 000 gallons de purin et livres de nutriments par tonne de fumier solide).
Messages clés
Le fumier est une importante source d’azote.
Pour tirer le maximum de valeur de l’azote présent dans le fumier, il faut réduire les pertes de N.
Les producteurs peuvent réduire les pertes d’ammoniac en évitant l’accumulation de NH3. Pour ce faire, ils disposent de plusieurs options : dilution, acidification ou immobilisation sous forme de N organique.
Pour limiter les pertes de N03– par dénitrification ou par lessivage du nitrate, il faut éviter d’épandre des quantités excessives de fumier dans les champs.
L’azote contenu dans votre fumier doit être crédité. La quantité de N et la période pendant laquelle il est disponible peuvent être estimés et devraient figurer dans le calcul de votre bilan azoté.

Fruit d’une nouvelle approche face à l’innovation agricole au Canada, le Laboratoire vivant du Nouveau-Brunswick permet à des agriculteurs, à des scientifiques et à d’autres collaborateurs d’unir leurs efforts pour élaborer et mettre à l’essai des pratiques agricoles novatrices dans des conditions réelles. Il fait partie d’un réseau pancanadien de laboratoires vivants créés dans le cadre du programme Solutions agricoles pour le climat – Laboratoires vivants, qui est financé et soutenu par Agriculture et Agroalimentaire Canada. Chaque projet vise à accélérer la conception et l’adoption de solutions durables à la ferme pour contrer les effets des changements climatiques.